Du 07 /09/1997 au 07/09/2017: Voici exactement 20 ans que Mobutu mourait au Maroc.
20 ans après, on peut analyser avec moins de passion ses 3 décennies de règne et ainsi en tirer l’essentiel de ce qui peut être objectivement retenu comme son héritage et comme leçon pour la nation congolaise. Aujourd’hui, nous cherchons donc simplement à tirer notre part les leçons que son règne enseignent aux dirigeants congolais présents et futurs.
Tel est l’objet des lignes suivantes.Cependant, pour ce faire, il convient avant tout de placer la vie de cet homme exceptionnel dans son contexte historique assez particulier.
En effet, on constate aujourd’hui qu’étant né et ayant reçu sa formation de base au plus dur de l’époque coloniale, Mobutu règnera sur son pays durant deux époques très différentes.
La première est celle dite de la « guerre froide » et la deuxième celle appelée la » perestroïka Africaine » , au cours de laquelle les rivalités idéologiques laissent peu à peu la place aux compétitions économiques.
En effet, né en 1930, c’est à dire au plus dur de la colonisation belge au Congo, Mobutu accède à la Magistrature suprême en 1965, en pleine « guerre froide »; quand le continent africain faisait les frais de l’antagonisme féroce qui sévissait entre les blocs Est et Ouest; alors dominés respectivement par l’ URSS et la Chine Populaire de Mao pour ce qui est de l’Est qualifié alors de « bloc communiste, » et le bloc Ouest piloté par les USA, le Royaume Uni et la France qui se présentaient à l’époque comme le « Monde libre » mais étaient taxé d’ impérialistes par les communistes qui s’appellent eux-mêmes les « révolutionnaires. »
À cette époque, au nom de cette sourde rivalité, les pires potentats du continent africain étaient soutenus ou du moins tolérés moyennant les services qu’ils rendaient à l’un ou l’autre bloc en compétition dans la guerre froide.
En l’occurrence, Washington, Paris et Bruxelles ont pu laisser Mobutu faire n’importe quoi au Congo : assassiner des adversaires, massacrer les étudiants, dilapider les fonds publics, humilier les gens…sans lever le petit doigt, du moment qu’il constituait à la fois une sorte de « rempart » et de vache à lait pour les occidentaux.
Ces derniers étaient en effet tellement cyniques que des dirigeants aussi ahurissants comme » l’Empereur » Bokassa de la République Centrafricaine ou le » Maréchal » Idi Amin DADA de l’Ouganda ont eu à recevoir leur soutien !
32 ans plus tard, à la mort de Mobutu en 1997, le monde politique n’avait plus le même visage: la guerre froide était terminée et les Occidentaux n’avaient nullement plus besoin de s’encombrer de potentats de son genre. :Le mur de Berlin était tombé depuis 1989, l’URSS avait déjà volé en éclats, la Yougoslavie était déjà divisée en États souverains et de nombreux pays africains étaient déjà sur la voie de la démocratisation.
Dans les Grands Lacs même, les choses avaient bougé : juste après la mort tragique de son protégé le Président Rwandais Juvénal Habiarimana, un horrible génocide a eu lieu au Rwanda, et son onde de choc a eu comme conséquence indirecte un changement total du rapport des forces dans la région et la chute brutale de son pouvoir.
Il convient donc de noter que l’homme de Kawele a traversé 3 générations de l’histoire politique du monde et l’on peut comprendre que sa tête, son régime et finalement même son propre corps n’aient été capable de se réadapter autant de fois à des changements aussi profonds.
Cela peut-il cependant expliquer le fait que cet homme qui a pris le pouvoir quand son pays avait un PNB supérieur à celui de la Corée du Sud ait laissé derrière lui un pays très pauvre, très endetté et en proie à des massacres atroces, lequel va même frôler l’éclatement peu de temps après sa mort ?Loin, très loin s’en faut.
Toutefois,tel n’est pas notre propos ce jour:
Aujourd’hui, nous cherchons simplement à tirer notre part, à savoir les leçons que son règne enseigne aux dirigeants congolais présents et futurs.
Voici pourquoi nous tenterons de présenter ci-dessous un bref résumé de l’héritage de Joseph Mobutu, avec comme objectif la mise en exergue de quelques leçons à tirer, présentées ici comme » les choses à déconseiller vivement aux décideurs congolais présents et futurs ».
En liminaire, nous soulignons cependant que ce qui suit n’a nullement la prétention d’être parfait, ni exhaustif: les compléments, les observations et les corrections sont donc les bienvenues.
Voici les trois rubriques:
A. Les bons points de Mobutu :
1/ La paix sur toute l’étendue du territoire national à part quelques cas isolés et vite effacés de 1965 en 1996.
2. La construction de l’unité nationale. On peut dire aujourd’hui la RDC est devenue une nation et que Mobutu est l’un des artisans de cette unité qui a permis à notre pays de préserver son unité et sont intégrité territoriale. À notre humble avis, c’est le plus grand héritage de Mobutu.
3. L’autorité de l’état. On ne badine pas avec l’autorité de l’état sous Mobutu. À son époque, on a senti beaucoup plus de discipline et aucune administration parallèle n’a pu tenir longtemps sous son règne.
4. La solidarité nationale. Mobutu n’a pas montré un penchant excessif vers les siens durant son règne. Il se rendait partout, recevait tout le monde et était sincèrement touché par tout malheur qui arrivait à chaque coin du pays. Dans la mesure du possible, il était présent sur tous les lieux des sinistres.
5. Un choix objectif dans la promotion et le déploiement des cadres. Mobutu choisissait ses collaborateurs parmi les meilleurs et était prêts à récupérer ses pires critiques pour son service.
6. La capacité de s’adapter aux nouvelles réalités et de corriger les erreurs. Plusieurs fois, il a reconnu publiquement avoir fait fausse route et modifiait les mesures.
7. La générosité. Mobutu a beaucoup donné aux gens: il suffisait de le voir pour recevoir quelque chose.
8. La charisme. Mobutu était un leader charismatique, il avait un aura hors du commun et sa présence ne passait jamais inaperçue, même au niveau international.
9. Le courage. Mobutu était franc, direct et courageux.
10. Le respect de la parole. Il faisait tout pour réaliser ses promesses.
11. Le soin de la stature internationale du pays. Il ne voulait jamais voir un pays étranger se moquer du sien.
12. L’éloquence. Mobutu était un homme très éloquant , liant l’esprit de synthèse à des pointes d’humour.
13. Rattachement aux valeurs et à la culture nationales. C’est sous Mobutu que sont né la politique du recours à l’authenticité, l’INA, le ballet National, les léopards, l’Académie des beaux arts et le Palais du Peuple….on peut dire sans hésiter que Mobutu a été à la base de l’âge d’or de la culture congolaise.
13. L’exécution de certains grands travaux: le barrage d’Inga, le Pont Maréchal, des résidences officielles dans plusieurs villes du pays, l’acquisition de bateaux et d’avions dernier cri neufs, le domaine
de la N’sele, plusieurs infrastructures militaires…
14. L’initiation des travaux collectifs d’utilité publique, le Salongo.
15. Le lancement de la démocratie pluraliste des 1990,
16. La capacité de pardonner. Mobutu n’était pas rancunier. Il a eu à travailler avec ses anciens opposants et même des anciens rebelles. C’est du reste cette capacité de pardonner qui a permis à la Conférence Nationale Souveraine d’ouvrir ses portes et d’être une tribune libre.
B. Points négatifs.
1. Accès et exercice non démocratique du pouvoir. Mobutu est devenu président par un coup d’état et s’y est maintenu en usant et abusant de la force, de la ruse et du débauchage.
2. Assassinats, massacres et répression des adversaires.
3. Restrictions des libertés publiques.
4. Violations massives des droits humains.
5. Culte de la personnalité. On chantait à sa gloire du matin au soir. Son visage était partout et, se sachant simple mortel, il acceptait d’être adoré comme un Dieu.
6. Croissance galopante des antivaleurs telles que : mensonges, corruption, détournements, népotisme, tribalisme…
9. Déstabilisation des pays voisins. Il a été utilisé pour déstabiliser l’Angola, la Centrafrique, l’Ouganda, le Rwanda, le Burundi….
10. Incapacité s’imposer la rigueur dans la moralité publique. Avec un entourage de plus en plus gangrené par les antivaleurs, le régime Mobutu a porté un coup très dur à la moralité publique. C’est à son époque que l’inversion généralisée des valeurs dont souffre aujourd’hui la société congolaise et surtout la classe politique a pris racine.
11. Évasion des richesses des notables. Les barons du Régime Mobutu, peu sûrs de leurs lendemains à cause des tords causés aux compatriotes, ont émigré leurs avoirs. Ils ont construit et investi à l’étranger tout en laissant leurs villages sans eau ni électricité.
12. Manque de prévoyance dans la planification économique. Mobutu a comme tord d’avoir laissé l’économie du pays avec ses caractéristiques de l’époque coloniale: fournisseur de matière première.
13. Négligence de l’éducation nationale et de la recherche scientifique. La part du budget consacrée à l’enseignement, à la recherche et à la formation des cadres est allée decrescendo sous son régime, au point que le secteur et la qualité de son produit en ont pâti.
14. Destruction de la morale de la jeunesse.
15. Privatisation des forces armées et de la sécurité civile…..
De ces points forts et des faiblesses du régime de Mobutu, il n’est peut être pas évident que les dirigeants congolais sachent exactement ce qu’ils peuvent faire demain pour un meilleur Congo mais, au moins, tout esprit avisé sait à peu près ce qu’il ne faudrait absolument plus refaire ou encourager dans notre pays, dont voici un petit échantillon :
1. Négliger les valeurs morales,les valeurs spirituelles, l’éducation et les enseignants.
2. S’imposer comme dirigeant ou imposer des dirigeants au peuple
3. Négliger les vies et le bien être des citoyens.
4. Saboter la Constitution et les lois du pays.
5. Étouffer les droits et les libertés des citoyens.
6. Tolérer le règne de l’impunité et des antivaleurs.
7. Affaiblir le système de défense.
8. Affaiblir la cohésion nationale pour des visées d’un petit groupe.
9. Privilégier les intérêts actuels d’un petit groupe de dirigeants au mépris de l’intérêt général et du futur de la Nation.
10. Privatiser l’armée et la police.
11. . Négliger la jeunesse et les femmes.
12. Négliger l’agriculture.
13. Ne pas moderniser les infrastructures et le transport.
14. Privatiser la justice et les services de sécurité.
15. Revenir au culte de personnalité.
16. Laisser régner les antivaleurs.
17. Déstabiliser les voisins.
18. Négliger la culture.
19. Négliger la recherche scientifique.
20. Ne pas moderniser l’industrie et la production.
21. Ne pas maîtriser les nouvelles technologies.
22. Ne pas mieux encadrer et protéger nos potentialités humaines, nos talents et nos génies.
En conclusion,
Tout dirigeant, tout leader a une vie nécessairement limitée dans le temps.
La qualité de l’apport de ceux qui nous succéderont sur cette terre sera proportionnelle à ce qu’ils apprendront et appliqueront comme enseignements de notre passage.
C’est dans cet optique qu’il nous a paru nécessaire d’attirer l’attention sur le long règne de Mobutu en vue d’en tirer notre part: les leçons favorables à notre postérité.
Ci dessus, on a résumé ce qu’il faudra éviter dans le futur.
Nous clôturons donc ce dossier par ce petit conseil aux dirigeants congolais.
Si, à quelque niveau de responsabilité qu’on se trouve,l’on commet encore les fautes reprises dans les lignes qui précèdent, alors on a intérêt à vite changer de route: on suit en effet, peut être sans le savoir, le terrible sentier où Mobutu, croyant peut être bien faire, a malheureusement conduit le pays de Lumumba.
À bon entendeur…
La Rédaction.